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mercredi 30 novembre 2011

La vie dans la femme, par elle, avec elle et en elle.

" Il n'y a pas plus de Chinois que de chez noir. "

Elle a tout d'une grande, celle là :)

D'ailleurs, j'ai eu les honneurs de la presse, puisque mon maître à penser me cite.

jeudi 24 novembre 2011

As we lay dying : cartésianisme et holistique vus à travers la camera oscura des primitifs flamands

Je m'autorise (une fois de plus, quelle audace, mon amie) de cette  émission de France Culture sur Daniel Arasse pour étendre un peu le sujet (comme vous y allez) avec quelque chose qui n'a rien à voir (vous me rassurez).

Et pourtant si, un peu, nous l'allons montrer tout à l'heure. La réflexion part de la Vierge à l'osier ci-dessous, attribuée à Campin.


 

La première chose qui m'a frappée dans ce tableau, c'est que le manteau de Marie n'est pas bleu. Il y a bien des manches d'un bleu tellement marial qui dépassent en dessous, qu'on pourrait prendre cela comme une provocation, en admettant que l'absence de bleu est délibérée.

Voilà donc la question. Personnellement, et en dépit de la volonté bien connue d'ancrer la scène dans le cadre d'un intérieur familial, de la vie quotidienne etc., je trouve l'ensemble un peu iconoclaste.

Je me suis avisée que le fait de remplacer une auréole par un pare-feu d'osier, cette matière si facilement inflammable, permet de libérer une masse de cheveux assez vulgaire (on dit bien " Lorsqu'elle nous accueillit, elle était encore en cheveux ") autour d'une face bien quotidienne, allons jusqu'à " débonnaire".

Le geste d'allaitement est on ne peut plus explicite, et l'enfant Jésus, bien loin d'être joufflu, n'arbore même pas l'air inspiré qui préfigure son onction, il a plutôt cette expression de malice étrange, et cette position des mains. Je suis trop ignorant pour décoder celle de la gauche, mais celle de la droite sur le genou me paraît " leste".

Passons sur le calice, que fait-il là, ce qui sert à boire, et qu'on peut opposer à la corolle des lys (qui figurent pourtant sur l'autre, cf. infra). Quant au livre, on peut s'interroger sur l'aspect " BD " de cette Bible. On y distingue plus des images que du texte (Il y a sur une vierge en gloire de Campin un St Augustin qui a un autre exemplaire de cet ouvrage...)

Évidemment, il faut, ici encore, plus de connaissances que je n'en ai pour comparer cette Vierge à celle de l'Annonciation ci-dessous, plus " orthodoxe " si on considère les lys, mais quid du manteau (le bleu sert de couverture, et le rouge est-il " pire " que le blanc ?) et de la Bible si tant est qu'un des deux livres en soit une (ou alors une Bible en deux tomes). 
Je sais qu'on est avant la Réformation, mais n'y avait-il pas déjà quelque allusion à quelque courant souterrain ? 
Quid de la bougie, ôtée du dessus de la cheminée pour être utilisé en bougeoir sur la table ? Quid encore de l'absence notable du petit village traditionnel et de son paysage servant de fonds à la fenêtre ?

Je sais aussi que ce tableau est essentiellement une " histoire de perspective", et encore une fois d'autres en parleront mieux que moi, je ne vais pas passer ma vie sur la complexité du symbolisme avant Jan Van Eyck, non plus.



Il y aurait bien sûr également à découvrir d'après ce qu'on sait des datations, s'il y a eu évolution constante dans un même sens sur un même direction, ou bien changements de sens dans une même direction, ou bien des sauts sans axe constant, concernant ces points.

Alors, me dira-t-on (laveur), c'est très simple : c'est parce que la lumière du Sauveur éclipse toutes les autres, même celle du soleil.
Elle est tellement puissante que les vêtements deviennent blancs (comme lors de la transfiguration). Ces détails, différents de l'iconographie traditionnelle, correspondraient à la vision de sainte Brigitte de Suède lorsqu'elle visita la grotte de la Nativité à Bethléem en 1372.

Certes, et on peut voir une sorte de halo dans le dégradé du blanc au mauve. Il n'impacte pas le reste des objets, mais on peut admettre qu'il y a tout de même une part de convention, laquelle dispense d'un réel effet d'illumination. Dans la nativité de Campin à laquelle je pense, le manteau de Joseph reste rouge. La lumière disparaît également dans Vierge à l'Enfant ci-dessous. Certes si tous les manteaux des tableaux où apparaît le Christ étaient blancs...


Plus de chaleur non plus apparemment. La Marie de Campin est d'une frilosité incroyable. Elle passe sa vie à se chauffer près du feu, et elle finit par y mettre la main, dans un geste qui rappelle celui de l'adresse à Gabriel.

La perspective du plat me laisse assez dubitatif. Mais le plus étonnant, c'est la lumière des drapés. On dirait les ombres portées par ce que seraient les armatures d'une verrière.

On peut les voir aussi, mais là c'est carrément fantasque, comme les reflets d'une eau en mouvement, vus à travers un verre coloré. En tout cas on ne peut nier que quelque part ils prolongent la perspective du carrelage, ce qui les " aplatit". Les motifs de la couverture sur laquelle repose l'enfant pourraient eux aussi provenir d'ombres portées.

Bref, ce que je voulais dire, c'est que l'obsession du détail est pour moi révélatrice également d'une attitude mentale qui consiste à laisser ouverte la possibilité qu'une nouvelle, et meilleure interprétation d'un seul détail remette en question l'interprétation de tous les autres détails d'un seul coup. C'est admettre que l'ensemble d'un tableau fonctionne comme un tout, en système, que le peintre fonctionne en système avec l'ensemble de l'oeuvre peint, avec le spectateur, et avec le monde.

Cette vision holistique, elle n'a de cesse d'avoir tout compris, parce que tant que tout n'est pas compris, tout peut être remis en question par  un détail. Car comme dans une version latine, un parti pris peut faire perdurer le contresens jusqu'à donner à l'ensemble une signification complètement fausse.

J'oppose à cette vision l'esprit cartésianiste, qui estime que lorsqu'il a compris 90 % d'un tableau c'est largement suffisant pour pérorer dessus sans vergogne, et que si on attend d'avoir tout compris, si on réfléchit trop, on ne fait jamais rien, on " n'avance pas ", le péché capital du clergé de l'économie moderne, les consultants et autres experts, ignares qui n'ont à la bouche que des mots comme "opérationnel", "stratégie", ou "excellence", qui s'autorisent de cela pour décréter qu'une action ne doit pas prendre plus d'une minute ou un texte plus d'une ligne, et qui achèvent le corps agonisant de notre civilisation en finissant la tâche des premiers bourreaux de la division du travail.

dimanche 20 novembre 2011

I'm living, I'm expanding

The feeling I was refering to in the end one of my previous posts could be illustrated (but once more, it points much more towards an inner sensation than towards a picture) by the image of a balloon expanding inside an other, and bigger balloon.

This sensation of pushing a " coat " (as in " cell coat") that would be rather elastic is obviously associated with the in utero part of our life. It has been described in terms of " need of existence" by my friend Semillade here.

If we follow Semillade, the very basement of our humanity is intellectual life, itself founded by a biological structure (conform to some morphologial rules in order to avoid lethal etc.) and, here is the point, culture. And the point is that access to self-conscience would be conditionned by some kind of " permissive " mecanism coming from other individuals you are surrounded with during your education.

Thus the inner balloon ( what you consider as being your self ), may expand, pulled from the outside by the depression of the dark night that lies between this and the inner side of your cranial box, and inflated from the inside by the increasing amount of information your social begin is able to cross during its education.

In fact, education never ceases. Interaction, as exercise of intersubjectivity, is litterally, what keeps you alive. Without neglecting the importance of biological substrat as a condition to support life (and how to make such a mistake), Semillade joins Jean-Paul Sartre, Merleau-Ponty and other philosophers in thinking that I exist only in, through, via others.
I know I can speak thanks to their replies, I know I exist only in their mirroring my self.

dimanche 13 novembre 2011

Philippe Soupault et la réalité

J'ai lu quelque part dans sa biographie par Béatrice Mousli, un passage où Philippe Soupault décrit l'impression qu'il a que la réalité se déroule devant lui comme un film sur lequel il n'a aucune prise.

C'est, sinon une explication, ou une justification, au moins une antécédence.

C'est en outre un sentiment qui est certainement partagé, à divers degrés, par la plupart d'entre nous.  Je ne peux m'empêcher de penser que c'est lié à une sorte de dualité qui nous habite et que nous habitons. Nous sommes de deux façons. Nous coexistons intimement sous deux modes.
Et c'est peut être aussi une des limites rencontrées par les tentatives pour penser l'ontologie basée sur un je, qui plus est qui serait opposable au "monde".
Ne serions-nous pas plutôt un "nous" qui est relié au monde, des je qui sont reliés notamment, mais fondamentalement, par son ontogenèse même.

Entre la matière d'où notre corps est issu, et l'individualité biologique que nous formons dans cet espace, individualité définie par les barrières matérielles et sensorielles (peau, unité de pensée et de comportement), il y a une intersection (au sens de la théorie des ensembles) mais cette intersection est pleine de liens, le cordon n'est pas coupé : comportements archaïques, grégaires...

Entre le groupe qui nous a formé et éduqué en tant qu'être social, et l'individu communiquant qui habite la sphère ainsi créée et devenue "privée", il y a une intersection, mais c'est un isthme, où sur les dépôts alluvionnaires de notre enfance, entre les îlots de notre passé reconstruit dans la mémoire, circulent les courants du présent.

Cette impression de regarder la réalité comme un film est donc doublement justifiée : d'une part notre être fondamental, animal, biologique, regarde tapi dans sa caverne rouge et sombre, depuis cette grotte utérine où il s'est tissé de fibres, le merveilleux écran de cinéma où vit son être social.

Et d'autre part son être social, si superficiel, si fragile et artificiel sur son écran de convention apprises, sans véritable origine ni repère, construction floue dont chaque fil ne tient que parce qu'il est tissé à un autre, cet être lui aussi sent bien qu'il y a devant lui une matière dont il est fait, dont il est issu, et pourtant qu'il ne peut plus appréhender qu'à travers les filtres successifs que son système cognitif et sa culture ont interposé entre lui et le monde, pour le permettre de le penser, mais lui interdisant par là désormais de le sentir.

jeudi 3 novembre 2011

A l'ombre des fraisiers

J'aime ce passage :

... Diderot fait l’éloge des « habits vieux » dans lesquels il trouve « une multitude infinie de petits accidents intéressants » et donne l’exemple de ce jeune homme à qui l’on a fait un portrait de son père et qui s’exclame :
Vous n’avez rien fait qui vaille, ni vous, ni le peintre. Je vous avais demandé mon père de tous les jours, et vous ne m’avez envoyé que mon père des dimanches. »

Une notre de Laurent Versini nous apprend que ce jeune homme n’est autre que Diderot lui-même.

L’un des fondements de la critique artistique de Diderot tient dans cette attention à ce que le voile d’aucune conception ne s’impose devant la réalité lorsqu’on entreprend de la représenter : C’est la raison pour laquelle il s’attaque aux poses académiques, qui “guindent” les représentations :

Si vous perdez le sentiment de la différence de l’homme qui se présente en compagnie, et de l’homme intéressé qui agit, de l’homme qui est seul, et de l’homme qu’on regarde, jetez vos pinceaux dans le feu. Vous académiserez, vous redresserez, vous guinderez toutes vos figures.

et ailleurs :

La figure sera sublime, non pas quand j’y remarquerai l’exactitude des proportions, mais quand j’y verrai tout au contraire un système de difformités bien liées et bien nécessaires.

Soucieux de respecter la particularité de chaque corps humain, Diderot s’élève donc contre ce qui en diffère la présence et ce qui en altère l’intégrité et la singularité. On peut dire que la réflexion de Diderot est grevée d’un souci de la présence de l’homme : l’intelligence de Diderot consiste à ménager, au sein d’une pensée en mouvement, un espace d’existence pour l’homme. L’interrogation esthétique est sous-tendue par une conception de l’homme à moitié établie, à moitié en train de se construire ; dans le vaste geste d’écriture et de pensée par lequel Diderot tente de fonder son esthétique picturale, il cherche à dégager les conditions de possibilité d’émergence, au sein de la toile, de la présence. J’insiste sur le caractère dynamique de ce souci de présence : je ne dis pas que Diderot construit un espace pour l’homme, mais qu’il s’efforce de penser de telle sorte que cet espace puisse exister.

Il semble qu’on puisse définir ainsi l’homme pour qui est maintenu ouvert cet espace d’existence : être de finitude qui s’accomplit dans l’espace social au gré des circonstances les plus diverses. Le souci de la présence humaine va de pair avec celui du hasard de son accomplissement. Par ce mouvement d’élaboration continue d’un principe mimétique, Diderot permet de penser l’égale dignité des destins humains, qui sont autant de déclinaisons honorables de cet être particulier. Serait-il abusif de faire une lecture politique de ses recherches esthétiques, et y voir une tentative de subversion des représentations de l’Ancien Régime ? je l’ignore ; toutefois, on ne peut manquer de voir que cette écriture est travaillée par une pensée de l’homme qui est bien plus qu’un idéal abstrait. Cette pensée prend progressivement forme, au fil de l’interrogation sur les moyens et les techniques de la peinture, par un questionnement de l’apparence de cet homme et des représentations qu’on doit et qu’on peut en faire. Le geste intellectuel de Diderot n’est pas seulement esthétique, il est aussi moral et éthique : il pose de manière sous-jacente la question de l’image de l’homme qui préside à la conception d’une société.

C'est tiré d'un billet de ce blog. déjà le passage sur les habits vieux, ça m'interpelle au niveau du vécu de mon blog sur le wabi/sabi. Et puis cette vision dynamique de l'homme en train de se construire, ça me va. Même si comme vous le savez, je ne suis pas trop braguette, dragées, baguette ;)