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mardi 18 juin 2013

Cet art qu'est vivre (Arrêtez la chèvre)

Je sais que je vais passer pour têtue, mais je tiens pour non fermé le débat ouvert par quelques milliers de voix, dont celle de Philippe Dagen.
Il ne s'agit pas de faire du vedettariat, mais de garder comme repère ce contre-chantre.

Le sujet, malgré son apparente simplicité, n'est pas si facile à maintenir. La flamme s'en éteint facilement, et l'on trouve peu de bretteurs, les rieurs tournant vite le dos pour vaquer à des occupations plus sérieuses, et les autres se braquant sur leurs positions.

On me dira que c'est de la conversation de café du commerce, et que c'est pour cette raison que les gens sérieux s'en détournent et passent à autre chose. Je ne suis pas d'accord.

C'est donc parce que suis une petite chèvre courageuse de M. Seguin que je vais affronter ce loup de nouveau. (Oui, je connais la fin de l'histoire).

Je ne suis pas d'accord, tout d'abord, parce que la plaie est béante sous nos yeux. Il suffit de taper " art contemporain " dans Google pour se trouver face à l'art press officielle d'un côté, et de l'autre à pléthore de galeries en ligne offrant à leurs ouailles un strip-tease gratuit.

Là est indéniablement une partie de l'art contemporain. Dans cet étalage proprement quotidien, qui va du dessin d'écolier à la jeune louve aux dents longues qui a déjà à 22 ans une liste d'expos et de partenariats longue comme mon bras, de San Francisco à New Delhi en passant par Genève et le Musée International du couvercle de camembert de St Rambert sur Montalembert.

Je ne me pose pas en tireuse de trait de l'addition, en synthétiseuse de quoi que ce soit. Je ne prends pas position, puisque je creuse.

Ceci dit, j'ai conscience de creuser en terrain glissant. Je sais qu'on va me dire que cela n'a aucune importance que ce soit de l'art ou pas, et pourtant il y en a que ça chagrine que le leur n'en soit pas (je n'en suis pas mécontente de celle-là...), il y en a qui vous disputent le droit de le donner aux autres (le titre) alors qu'ils affirment ne pas en disposer (du droit de disposer du droit de le donner (le titre, bien sûr))

Je sais qu'on va me dire que l'objet n'a aucune importance, c'est le chemin (je le professe moi-même, depuis les années 1950, dans les cuisines des commissariats de Berlin Est), et qu'elles me le diront l'aiguille à la main parce qu'elles ont " les doigts qui les démangent".

Oui, le problème est immémorial, immatériel, et même immoral (là, c'était pour la rime saxonne, j'avoue). N'empêche, mon argumentation est étayée de ce côté là aussi.

Je pense qu'avec tant soit peu d'indulgence, on ne m'objectera pas grand chose si je dis que les débuts de l'art (je réserve désormais les guillemets-pincettes aux cas désespérés), sont liés à l'émergence de ce on-ne-sait-dailleurs-toujours-pas-quoi, qui fit l'humain et ses mains sur les parois, mais en tout cas à la faculté d'objectiver. Quoi ? Quelque chose comme un espace entre soi et le monde, je ne sais pas.

Un peu facile, me dira-t-on, ce fourre-tout. La faculté de représenter, et de se représenter, parmi les autres, parmi l'avenir, le passé, et dans le monde.

Certes pendant longtemps (jusqu'à la Renaissance :), l'expression était liée au sacré.
Facile, tout était sacré.
Mais bon, ceux qui ont traîné leurs guêtres là-bas me comprendront, on ne peignait, on ne sculptait pas à l'époque d'Alta Mira ou de  Göbekli Tepe '"pour faire joli", je pèse ses mots en tonne de pierre (ce qui me fait penser d'ailleurs, au formes kolossales d'aujourd'hui, le retour des menhirs).

On peut adhérer à l'idée qu'il n'y a plus de conséquence aujourd'hui à sculpter un renard. Ni plus, ni moins de sacré. Mais le coyote est passé par là. Les années ont passé, les traces sont là, superposées, et il faut affronter cette réalité.

J'ai du mal à me satisfaire de ne pas affronter l'idée que cela ne sert plus à rien de sculpter un renard, mais surtout parce qu'il faudrait s'en satisfaire au prétexte que c'est moral. Ce qui explique que les gens se braquent.
Examiner la question du sacré est devenue taboue. C'est une belle victoire, et malgré les cris des offusqués, disons-le, c'est une belle victoire de l'idéologie marchande, du veau d'or.

Et pas que pour de triviales questions d'anticléricalisme ou de Juleferrysme. Ou qu'on a peur d'éveiller les raminagrobis qui grattent à la porte.

Parce que le sacré est une dimension d'adhésion individuelle, profondément mobilisatrice de l'être, qui motive des comportements passionnels et des engagements physiques violents. Déraisonnable, si l'on veut, mais qui fait peur au pouvoir laïc.
Or le sacré a été acheté en masse par les religions, qui en ont acquis 90 % du capital, le reste étant éparpillé entre des mains minoritaires, qui vont du sexe au jeu et à toutes les addictions.

Le libéral-consumérisme a réussi à tout arracher des mains des anciennes religions durant le Xxème siècle en glorifiant l'objet marchand, devenu objet de désir. Mais comme l'art résistait un peu, il a fallu le disqualifier par les tentatives que nous avons vu.

Il a fallu l'amener à se disqualifier. Pour cela, il fallait organiser le divorce entre le peuple et sa culture, faire prendre à l'art et à la culture deux chemins divergents.
Il fallait arracher des mains du peuple les techniques d'artisanat (non sans oublier de décerner à quelques acharnés un label de maison des artistes afin de les désigner au porte-monnaie des nantis en quête de reconnaissance sociale, comme on désigne le Juif à la vindicte populaire en soif de vengeance.)

Il fallait réserver la fabrication d'objet non plus à la main, non plus à la manufacture, mais à la machine pilotée par l'électronique, de façon à couper l'humain de ses pulsions créatrices (ce qui a malheureusement conduit, une fois les gens rendus malades par ce manque, à créer des chaires d'art-thérapie pour les leur revendre au sein d'un système de soins qui peine à se montrer dignes des objectifs confiés à ses " business units" malgré le dévouement des agents).
Tout cela, l'industrie l'a bien fait, elle s'est sagement acquittée de sa tâche.


Mais la loge de l'artiste étant désertée, il fallait d'autre part lui trouver un substitut. Il fallait bien perpétuer l'art-pour-les-riches, celui qui permet de montrer aux autres qu'on a acheté cher un vêtement ou une voiture.

Les vedettes des années 70 exposaient des pneus géants qui ne feraient plus lever un sourcil aux gens que ça n'intéresse plus de circuler dans cet " environnement". Mais peu importe. Il faut un objet qui serve de support à la transaction, à l'échange de fric.

Alors l'art, être-Hydrargyre, s'est enfui par les interstices. Il leur a filé entre les doigts. Il est parti dans le conceptuel et la performance. Les villes peuvent se les offrir, ou se les faire prêter, à l'occasion.

Jusqu'à l'implosion ? Et pourtant, ça continue. Il suffit de taper " art contemporain dans Google " etc. etc. Ils continuent. Qui ça " ils " ?

Tout ceux qui éprouvent le besoin de produire, ne serait-ce qu'en étant, quelque chose de différent ou de nouveau. De ne pas laisser les choses en l'état.

Et je les accueille tous. Je veux les faire tous entrer dans l'Arche, comme Noé. Depuis justement le dessin d'enfant jusqu'aux oeuvres kolossales des expositions monumentales.

Les convoquer tous, pour éviter l'ornière de la question :" pourquoi faites-vous de l'art", parce que l'important c'est bien sûr pourquoi en faites vous et surtout, pourquoi le faut-il, pourquoi cette urgence, pour éviter de les séparer par là, par ce mot d'art, pour les avoir tous, au contraire, justement dans une exhaustivité maniaque, pour être sûr que personne ne manque à l'appel, avant de quoi ?
De commencer à ...
Les classer. Pas vraiment intéressant, quoique... Puisque j'ai déjà décrété qu'ils étaient tous à l'intérieur de l'art, du bon côté de la barrière. " Toutes les versions sont possibles, et elles se valent toutes", c'est devenu un lieu commun de la pensée magique du temps.

Si le processus créatif est un geste vers l'autre qui tandis qu'il s'effectue, en appelle à la dimension du sacré, c'est aussi, rien de compliqué là dedans, pour en récuser la version marchande, mais dans sa dimension sociale pure, c'est à dire de ce qu'il est convenu de fournir d'utile au groupe.

Avant de commencer à réfléchir, je vais donc peut-être engranger de la matière, et voir ce qui émerge. Demander à des gens de répondre à la question : "POURQUOI faites vous cela ? "

Évidemment, la difficulté va consister à les empêcher trop de facilité, à ne pas leur permettre des réponses faciles.

Liste des réponses faciles :

Je ne sais pas
Parce que j'aime ça
Parce que c'est joli
Parce que ça me fait du bien
Parce qu'il faut faire bouillir la marmite
Parce que j'ai toujours été fasciné/passionnée par les problèmes de géométrie/couleur...
Parce que ma mère/ mon père était peintre/géomètre et qu'il m'a donné le goût des petits pois/boulons...

Donc, je me mets en mode sondage, et je reviens.

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